Le 9 juin 2020, j’ai reçu un appel vidéo.
De ce côté-ci de l’Atlantique, il devait être dix heures, oui, il devait être dix heures.
Elle m’a crié…
Il est mort.
Je l’ai trouvé mort.
PATRIA.
Chapitre I :
On ne meurt pas de la même façon partout dans le monde.
Imaginons ce que c’est de mourir et la procédure administrative qui s’ensuit dans un pays dans lequel il y a tellement de morts que les cimetières ne sont pas terminés à temps.
Ce pays, c’est le Venezuela.
Le 9 juin 2020, j’ai reçu un appel vidéo. Mon père mourrait au Venezuela, mon pays d’origine, après des années à chercher des médicaments pour traiter son asthme chronique. La dernière fois que je l’ai vu, c’était aussi mon dernier voyage au pays, en 2015.
Comment vivre sa mort en étant exilée et confinée, à des milliers de kilomètres, dans une maison d’enfance qui n’est pas la mienne ?
Je décide de raconter cette expérience violente et douloureuse : construire un deuil loin de toute ma famille et de mon pays natal. C’est le premier chapitre du projet PATRIA, il s’appelle : Maison prêtée pour un deuil.
D’un côté, je me sers de mes archives familiales, des milliers d’images, de vidéos, d’audios, qui m’ont été envoyés via WhatsApp par des membres de ma famille, mais ma maison au Venezuela n’est plus la même dans ma mémoire alors je la transforme grâce à un processus corrosif, qui finira par la détruire. De l’autre, mes clichés de la maison prêtée en France seront altérés à travers l’écriture compulsive de ma machine à écrire.
Je réalise la fragilité de ma mémoire, la volatilité des souvenirs et des liens avec mon pays.
C’est à travers la simple histoire de la perte d’un être aimé, mon pater, que l’effondrement du Venezuela, ma patria, se révèle à moi.
Durant les six mois qui ont suivi la mort de mon père, en 2020, j’ai commencé à collecter de façon obsessionnelle des archives de ma maison d’enfance au Venezuela qui m’étaient envoyées par mon frère via WhatsApp.
Quand je les regardais, je me sentais complètement étrangère à ce lieu. Une seule chose restait vivante dans ma mémoire, les couleurs des Tropiques.
Je voulais reproduire, dans un geste de plasticienne, le terrible sentiment d’oublier mon pays. Árbol, la première image travaillée au corrosif est née. Elle était monstrueuse et sublime, une métaphore, un cri, la fragmentation de ma mémoire.
En septembre 2020, trois mois plus tard, je me replonge dans tous les audios, les images, les vidéos, les archives WhatsApp qui m’ont permis de suivre l’enterrement de mon père.
Avec un peu plus de distance, je découvre que dans les interstices de notre histoire de famille la forme la plus dure de mercantilisation de la mort opère dans mon pays. Depuis Paris, avec une démolition en face de ma maison, je réalisais un autre voyage immobile, à la découverte d’un pays dur que je ne reconnaissais plus.